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‘HAYÉ SARA – LA BONNE FORMULE

«Voici, je me trouve au bord de la fontaine et les filles des habitants de la ville sortent pour puiser de l’eau. » (Genèse 24-13)

Chargé par Avraham de trouver une femme à Yiç’hak, Eli’ézer, prend la route vers ‘Haran. Arrivé à l’entrée de la ville, il prie Dieu de l’aider à mener à bien sa mission : « Seigneur, Dieu de mon maître Avraham ! daigne me procurer aujourd’hui une rencontre et sois favorable à mon maître Avraham. Voici, je me trouve au bord de la fontaine et les filles des habitants de la ville sortent pour puiser de l’eau. Eh bien ! la jeune fille à qui je dirai : ‘Veuille pencher ta cruche, que je boive’ et qui répondra : ‘Bois, puis je ferai boire aussi tes chameaux’, puisses-tu l’avoir destinée à ton serviteur Yiç’hak et puissé-je reconnaître par elle que tu t’es montré favorable à mon maître ! » (v. 12,13,14).

A ce propos, le Talmud (Ta’anit 4a) nous enseigne que la prière d’Eli’ézer ne fut pas correctement formulée mais que malgré tout, Dieu exhaussa sa demande. En effet, le fait d’avoir dit « la jeune fille à qui je dirai : ‘Veuille pencher ta cruche’ », c’était prendre le risque de tomber sur une jeune fille aveugle ou boiteuse. Et au-delà du problème physique, la première jeune fille à qui ces paroles seraient adressées, aurait pu être servante ou adultérine (Wayikra Rabba 37-4). De telles imperfections l’auraient rendue indigne d’être la seconde matriarche du peuple juif.

Dans le but de défendre Eli’ézer, certains expliquent qu’à travers les mots « la jeune fille à qui je dirai », le fidèle serviteur échappe au risque éventuel d’un défaut physique. En effet, il est évident qu’une jeune fille avec de tels handicaps, serait facilement identifiable et que de ce fait, Eli’ézer ne lui adresserait pas sa demande. Quant au risque qu’elle soit servante ou adultérine, il est probable qu’Eli’ézer se soit fié au fait que la ville, serait constitué d’une majorité de jeunes femmes libres et légitimes.

Cependant, Rebbi Moché Sitruk¹ z”l, dans son œuvre Yashiv Moché, relève que ce dernier argument n’est pas valable, puisqu’à l’époque, abreuver les troupeaux était le rôle des serviteurs. Ainsi, même s’il est vrai que la majorité des filles de la ville sont légitimes et libres, il n’en reste pas moins que la majorité des bergers sont des serviteurs. De ce fait, Eli’ézer aurait très bien pu adresser sa demande à une servante venue puiser de l’eau. De plus, on peut se demander pourquoi Eli’ézer a dit « les filles des habitants de la ville sortent pour puiser de l’eau » alors qu’il était coutume de charger les servantes de cette besogne ?

En réalité, répond Rebbi Moché, il est évident qu’en utilisant précisément cette formule, Eli’ézer prie Dieu pour qu’exceptionnellement, les filles des habitants sortent plutôt que les servantes. Ainsi, il est possible pour lui de penser à la majorité des filles de la ville sans risquer de tomber sur une servante. Par ailleurs, tel que nous l’enseigne le Midrash (Pirké DéRibbi Eli’ézer chap. 16), Dieu accéda à sa prière puisque ce jour-là, Rivka sortit abreuver le troupeau pour la première fois de sa vie.

Au terme de ce commentaire, on peut s’interroger sur les propos du Talmud cités plus haut. Pourquoi nos sages critiquent-ils la prière d’Eli’ézer alors que celle-ci semble justifiée ? Plus encore, si la formulation de sa demande n’était véritablement pas convenable, pourquoi Dieu exhaussa sa prière ?

La réponse que l’on peut proposer consiste à souligner le principe selon lequel, une prière sincère ne nécessite pas forcement une formulation protocolaire. Tel un père envers son fils, Dieu ne saurait rester insensible face à un cœur implorant Sa miséricorde et cela même si la structure de la demande est imparfaite. Faisant fi, dans ce cas, de la forme sémantique et même grammaticale de la prière, Dieu perçoit cet appel, écoutant le cœur plutôt que la bouche. Cependant, si le cœur n’y est pas, si seule la bouche invoque le Tout Puissant, alors à défaut de sentiments forts et authentiques, l’attention de Dieu sera portée sur la formulation de la prière. Alors, revêtant Sa couronne de Roi des rois, il sera nécessaire d’user des convenances dues à Son rang royal pour Lui adresser une demande afin que celle-ci soit acceptée. Selon cela, il est donc plausible que l’agrément à la prière d’Eli’ézer, soit dû, malgré sa formulation imprécise, au fait de sa profonde sincérité. A travers ce message, nos sages veulent nous enseigner, qu’une prière devra toujours être sincère mais aussi parfaitement précise et sans la moindre équivoque afin d’avoir toutes ses chances d’être agréée. 

Aryé Bellity

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[1] Rebbi Moché Sitruk ou Sitroug (~1846-1927), illustre rabbin tunisois, il est le 26ème grand rabbin répertorié de la Tunisie. Dans sa jeunesse il étudia auprès de Rebbi Avraham ‘Hadjadj, grand rabbin de la Tunisie entre 1873 et 1881. Par la suite, il fut à la tête des Sho’hatim et Bodkim (abatteurs & contrôleurs) aux abattoirs de Tunis. Grace à ce poste, il acquiert une réputation notoire et nombre de rabbins, tel que Rebbi Israel Zeitoun ou Rebbi Khalfon Moché Cohen, lui soumettent leurs problèmes. Au début du 20ème siècle, il siège au tribunal rabbinique de Tunis, avant d’en devenir le chef en 1921. La même année il est nommé grand rabbin de la Tunisie, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort. Rebbi Moché édita et corrigea plusieurs chefs-d’œuvre rabbiniques, tel que Avné Çédék de Rebbi Yéchouw’a Bessis, Méorote Nathan de Rebbi Nathan Borgel ou encore ‘Héléve ‘Hitim de Rebbi ‘Haï Taieb ‘Lo Met’.


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