WAYICHLA’H – LE POUVOIR DE VOULOIR
« Vous parlerez ainsi à mon seigneur, à ‘Esaw : Ainsi parle ton serviteur Ya’acov : J’ai séjourné chez Lavan et prolongé mon séjour jusqu’à présent » (Genèse 32-5,6)
Après avoir travaillé durant vingt-ans chez Lavan, Ya’akov retourne à BéèrShév’a, où résident ses parents. Sur la route, il croise son frère ‘Esaw, animé encore par la haine et par le désir de tuer celui qui lui « vola » les bénédictions d’Yiç’hak. Pour apaiser la tension, Ya’akov lui fait envoyer des cadeaux ainsi qu’un message clair : « J’ai séjourné chez Lavan ! ». Rachi s’interroge sur la nature de cette annonce et explique que le mot « גַּרְתִּי » – j’ai séjourné, a comme valeur numérique 613. En lui envoyant ce message Ya’akov cherche à dissuader son frère de l’attaquer en insinuant : « j’ai séjourné chez Lavan, et j’ai gardé les 613 Miçwot ». Ainsi, il l’avise du fait que le mérite de celles-ci le protégera de tout danger.
Seulement, Rebbi Ra’hamim Cohen-Yéhonatan¹ z”l dans son livre Yitédot Hé’Haçér, émet deux questions sur le commentaire de Rachi. Premièrement, comment est-il possible que Ya’akov ait pu observer les 613 Miçwot, alors que certaines d’entre-elles, ne pouvaient pas techniquement l’être (comme les lois liées à la terre d’Israël, ou celles concernant le service au Temple etc…) ? Deuxièmement, pourquoi est-ce que Rachi utilise le terme « שָׁמַרְתִּי »– j’ai gardé, alors qu’il aurait été plus juste de dire « קִיַּמְתִּי » – j’ai accompli ?
La réponse à la première question dépend en réalité de la seconde. Le verbe « לִשְׁמֹר » (garder) en hébreu, peut avoir certaines fois la signification « d’attendre, d’espérer ». En effet, à propos des rêves prémonitoires de Yossef il est dit (37-11) : « Les frères de Yossef le jalousèrent ; mais son père garda (שָׁמַר) l’affaire », et à Rachi d’expliquer que son père « attendit en espérant » de voir les rêves se réaliser. En outre, dans le Talmud (Chabbat 63a), nos sages nous enseignent qu’un homme ayant la volonté d’accomplir une Miçwa, mais qui malgré lui, ne peut finalement pas la réaliser, sera considéré par HaShem, comme l’ayant faite. Le seul fait d’avoir voulu et espéré accomplir cette bonne action, suffit à la lui comptabiliser, comme s’il l’avait réellement exécutée. Selon ce principe, Rebbi Ra’hamim répond ainsi aux deux interrogations que soulevait le commentaire de Rachi. Effectivement, Ya’akov ne pouvait pas observer l’intégralité des 613 Miçwot, néanmoins, il en fut crédité, comme s’il les avait toutes faites et ceci pour la simple raison qu’il « espéra » (שָׁמַרְתִּי) ardemment les accomplir.
Une noble pensée est semblable à une action, car aux yeux de Dieu, la vraie valeur d’un homme se mesure non seulement à ses actes, mais également à la noblesse de ses aspirations.
Aryé Bellity
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¹ Rebbi Ra’hamim Cohen-Yéhonatan (1895-1957) est né sur l’île de Djerba. Jeune, il étudie auprès de Rebbi Dawid (Didou) Cohen, reconnu pour avoir formé de nombreux grands rabbins. Il décède en Israël à Bérékhya (près d’Ashkelon), le lendemain de Roch HaShana, le 3 Tichri 5718 (28/09/1957). Il est l’auteur du livre Yitédot Hé’Haçér, une œuvre au contenu hétéroclite, comprenant des commentaires de la Thora et du Talmud, ainsi que quelques notes sur la loi juive. Le livre est corrigé par le célèbre Rebbi Mékikés Chelly, avant d’être publié à Jérusalem en 5733 (1973) dans un recueil – regroupant six autres ouvrages de différents auteurs – portant le nom de « Nét’a Réva’i ».