« Pendant six jours un travail sera fait et au septième vous aurez une solennité sainte, un chômage absolu en l’honneur de l’Éternel » (Exode 35-2)
Dans son œuvre Kérém Chélomo, Rebbi Chélomo Toubiana¹ z”l, relève que le verbe faire au début de notre verset, apparait sous une forme passive (תֵּעָשֶׂה – il sera fait) plutôt qu’une forme active (תַּעֲשֶׂה – tu feras). Ce détail grammatical, se traduit en hébreu par la ponctuation de la lettre Taw (ת) du mot תֵּעָשֶׂה, qui, ponctuée d’un Ṣéré (תֵּ) signifie « il sera fait » et se traduit par « tu feras » lorsqu’elle est soulignée d’un Pataḥ (תַּ). Il est à noter, que ce mot sous sa forme passive (תֵּעָשֶׂה) est largement moins fréquent dans la Thora, que sous sa forme active, on peut alors s’interroger sur la raison de sa présence dans notre verset ?
Parallèlement, Rebbi Raḥamim Ma’atouq Demri² z”l, dans son livre Middate HaRaḥamim, s’interroge sur le sens de la première partie du verset. En effet, si le message que la Thora nous transmet, à travers cette phrase, est de chômer le jour du Chabbat, quel est alors le but des mots : « pendant six jours un travail sera fait » ? Y aurait-il un commandement divin d’aller travailler durant les six jours de la semaine ?
Avant de proposer une réponse commune à ces deux questions, Rebbi Chélomo reprend un passage du Talmud (Bérakhot 35b), dans lequel nos sages mettent en opposition deux versets de la Bible. D’une part Dieu dit dans la Thora (Osée 2-11) : « Je reprendrai mon blé », ce qui laisse entendre que la récolte d’un homme Lui appartient et qu’Il en dispose à Sa guise. D’autre part, ailleurs dans le texte (Deutéronome 11-14), Dieu s’adresse à l’homme en ces mots : « tu récolteras ton blé », où il est clair que ce dernier prend pleinement possession de ce qu’il cultive. Afin de concilier ces deux versets, nos sages expliquent que le premier verset s’applique aux enfants d’Israël lorsque ceux-ci n’accomplissent pas la volonté de l’Omniprésent. Ceci, dans le but de les éduquer et de leur rappeler que Dieu est le seul véritable Maitre sur Terre, qu’Il dispose du grain selon Sa volonté, pouvant aller si c’est nécessaire jusqu’à priver les cultivateurs de leur récolte. Quant au second verset, où le blé profite à celui qui le cultive, il s’agit d’une personne qui respecte la volonté de Dieu. Toutefois, selon un avis du Talmud, lorsqu’une personne accomplit respectueusement la volonté de Dieu, son travail pourra alors être réalisé par d’autres, lui évitant ainsi de peiner pour gagner sa vie. Ce point de vue se base sur le verset « Des gens du dehors seront là pour paître vos troupeaux, des fils d’étrangers seront vos laboureurs et vos vignerons » (Isaïe 61-5).
A partir de cet enseignement talmudique, Rebbi Chélomo interprète la forme passive de notre verset de la manière suivante : Durant six jours votre travail « sera fait » par d’autres – lorsqu’au « septième vous aurez une solennité sainte, un chômage absolu en l’honneur de l’Éternel ». De façon similaire et complémentaire, Rebbi Raḥamim Ma’atouq explique qu’à travers les premiers mots du verset (pendant six jours un travail sera fait), la Thora nous enseigne que le Chabbat est le canal par lequel passe le flux de bénédictions pour les six jours de la semaine. Ainsi, c’est en respectant la volonté de Dieu et en honorant le jour du Chabbat, comme il se doit, qu’un homme s’assure d’une réussite financière sans avoir à peiner lui-même pour l’obtenir.
Aryé Bellity
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¹ Rebbi Chélomo Toubiana (~1770/~1840), né à Tunis, il est le fils du riche notable David Toubiana, possiblement identifié comme le dignitaire algérien qui remplaça les caïds de la famille Nataf, à Tunis, lors de la guerre algéro-tunisienne de 1756. Il étudie auprès du grand rabbin de Tunis, Rebbi Chélomo Elfassi et il entretient une grande amitié avec Rebbi Yéhouda Nadjar, auteur du livre Limoudé HaShem. Ce dernier encourage Rebbi Chélomo à rédiger le livre Kérém Chélomo, dont il fera relecture et correction et auquel il ajoutera plusieurs remarques personnelles. En outre, Rebbi Chélomo se lie d’amitié avec Rebbi Mass’oud Jami et Rebbi Réouven Corcos qu’il cite certaines fois dans son livre. Dans l’avant-propos du livre Kérém Chélomo (Livourne, 1806), Rebbi Raphael Ḥaïm Yossef Cohen-Tanugi écrit : « l’auteur possède de nombreux bienfaits [à offrir], tant exotériques qu’ésotériques, qu’elles sont grandes ses œuvres et malgré les jeunes enfants à sa charge, sa bouche ne cessa d’étudier ».
² Rebbi Raḥamim Ma’atouq Demri (1857/1934), né à Gabès, il est le fils de Rebbi Pinḥas Demri et le père de Rebbi Avraham Moché Demri, surnommé « Rebbi Bramino ». Dans sa jeunesse, il étudie auprès de Rebbi Avraham ‘Allouche, chef du tribunal rabbinique de Gabès et il partage les bancs d’études avec Rebbi Yiṣḥaq Ḥaï Bokhobza, Rebbi Fradji ‘Allouche, Rebbi Moché (Bichi) Mimoun, Rebbi Yéshouw’a Sayada, Rebbi Israël Douïeb et Rebbi Fradji Demri. Durant sa vie, Rebbi Raḥamim se déplace à maintes reprises, occupant dans plusieurs villes (Gabès, Tamezret, Tozeur, El Hammma) différentes fonctions religieuses, telles que rabbin, officiant, abatteur rituel et enseignant. Il laisse derrière lui les œuvres Middate HaRaḥamim et Cha’at HaRaḥamim.