BÉCHALAḤ – LA SOMME DE CE QUE NOUS SOMMES
« Demain, vous serez témoins de la gloire du Seigneur, lorsqu’il fera droit à vos gémissements contre lui. Mais nous, que sommes-nous, pour être l’objet de vos plaintes ? » (Exode 16-7)
Libéré du terrible exil égyptien, le peuple élu entame son long voyage dans le désert du Sinaï. Dans cet environnement hostile et sauvage, les enfants d’Israël ne tardent pas à se plaindre à leurs dirigeants, à qui ils réclament des vivres pour survivre. Témoin de leur détresse, Dieu fait savoir à Moché : « Je vais faire pleuvoir pour vous une nourriture céleste, le peuple ira en ramasser, chaque jour sa provision » (ibid. 4). Le Midrash (Chémote Rabba 25-3) rapporte que cette manne prodigieuse avait le goût qu’on lui prêtait, peut-être était-il ainsi possible de savourer une délicieuse bkaïla sans ses apports caloriques ? Moché et Aharon, dévoués à leur communauté, transmettent alors l’information au peuple et l’avisent de la prochaine « pluie de nourriture » qui s’annonce. Toutefois, en même temps qu’ils le préviennent, les deux frères reprochent au peuple d’avoir dirigé leur plainte vers eux, plutôt que vers Dieu et en ces termes ils proclament : « Mais nous, que sommes-nous, pour être l’objet de vos plaintes ? »
La Massora relève, que le pronom « אֲנַחְנוּ » (nous), apparait à quatre reprises seulement dans la Thora sous sa forme incomplète « נַחְנוּ », à savoir, sans la lettre initiale alef (א) :
- (Genèse 42-11)
- Mais nous, que sommes-nous (Exode 16-7)
- passerons en armes, devant l’Eternel (Nombres 32-32)
- avons failli et désobéi (Lamentations 3-42)
Afin d’établir un lien entre ces quatre phrases qui contiennent le mot « נַחְנוּ », tronqué de la lettre alef, Rebbi Shim’on Cohen-Drihem[1] z”l, propose une explication des plus moralisatrices. Dans son livre Ma’assé Ḥoshev, il écrit : – « Que sommes-nous » pour nous croire supérieurs aux autres ? Quel serait notre avantage sur autrui qui justifierait de nous enorgueillir ? Ce ne saurait être la sagesse car – « Nous avons failli et désobéi », c’est-à-dire, qu’il n’est pas d’homme parfait n’ayant jamais péché, le sage, étant en outre d’avantage condamnable que les autres lorsqu’il faute, il est donc, dans ce sens, peu enviable. Ce ne pourrait être non plus l’ascendance, car n’est-il pas dit – « Tous fils d’un même père, nous sommes » ? La richesse quant à elle, n’est que temporaire puisqu’au terme de sa vie, l’homme abandonne jusqu’à ses vêtements pour être enterré et pour se présenter devant Dieu, ainsi qu’il est écrit : – « Nous passerons dévêtus [חֲלוּצִים – litt. en armes] devant l’Eternel ».
Lorsque l’homme trépasse, il n’est accompagné ni de son or, ni de son argent, ni de ses perles, ni de ses pierres précieuses. Seuls la Thora et ses bonnes actions l’accompagnent devant l’Eternel. (Avot chap. 6 Mishna 9)
Aryé Bellity
[1] Rebbi Shim’on Cohen-Drihem est né vers 1740 dans le petit quartier juif de Djerba – Hara Sghira – aussi appelé Dighet. Au sein de sa communauté, il dispense des sermons d’une grande qualité, lesquels seront ensuite édités post mortem dans ses livres. En 1899, son œuvre Maté Shim’on – un commentaire en judéo-arabe du traité Avot – est édité à Livourne au sein du livre Bigdé Shésh de Rebbi Raḥamim Boukhris. Le premier tome du Ma’assé Ḥoshev est imprimé à Djerba en 1943 avec les corrections de Rebbi Mékikés Chelly. Cette œuvre comprend des commentaires de la Genèse en hébreu ainsi que quelques histoires en judéo-arabe. Il aura fallu attendre plus d’un demi-siècle pour que la collection complète (4 vol.) de cette œuvre soit éditée en Israël par les institutions ‘Ahavat Challom’. Rebbi Shim’on est décédé vers 1827.