WAYIGACH – UN GRAND PETIT PEUPLE
« Il poursuivit : Je suis le Seigneur, Dieu de ton père : ne craint point de descendre en Égypte car je t’y ferai devenir une grande nation. » (Genèse 46-3)
Tandis que Ya’akov appréhende de descendre en Egypte afin d’y retrouver son fils Yossef, Dieu se dévoile à lui et le rassure en ces termes : « ne craint point de descendre en Égypte car je t’y ferai devenir une grande nation ». A la lecture de ce verset on pourrait s’interroger sur cette crainte qu’a pu ressentir notre patriarche avant de descendre aux pays des pharaons : Que redoutait-il ?
Afin, de répondre à cette question, dans son œuvre Mighdanote Nathan, Rebbi Éliyahou Ḥaï Borgel¹ z”l, propose une explication intéressante. Il rapporte tout d’abord, une réflexion sur le fait de devoir opter, lors d’un quelconque différend, en faveur de l’avis majoritaire. En effet, la Thora (Exode 23-2) stipule à ce sujet : « dans le sens de la majorité, pour faire fléchir le droit » et à nos sages d’en déduire la règle visant à trancher selon la majorité pour toute divergence d’opinion. Cependant, si cette règle est bel et bien fixée par la Thora, pourquoi alors devrions-nous suivre les lois de la religion minoritaire qui est la nôtre ? Face à l’écrasante supériorité en nombre des autres nations par rapport au judaïsme, ne serait-il pas alors plus juste d’abandonner la Thora pour adopter les préceptes de la majorité ?
Cette question qui ouvre la voie à l’hérésie, a fait l’objet de nombreux débats et plusieurs solutions ont été proposées. Celle de Rebbi Éliyahou Ḥaï se base sur une règle déduite de la Thora et largement reprise par nos maitres, qui consiste à considérer que « tout ce qui est fixé [à sa place], comme moitié moitié » (Kétoubot 15a). Ce principe, s’applique à un objet (ou à un individu) au statut incertain et il a pour but de déterminer le statut légal de celui-ci, lorsqu’il se retrouve au sein d’un ensemble plus vaste d’éléments permis et interdits. Bien que généralement, le statut de cet objet sera déterminé par rapport à la majorité, la règle citée ci-dessus (de Kétoubot) permet les exceptions. En effet, si la place de l’objet est « fixé », la loi de la majorité ne s’appliquera pas et l’on considérera alors que d’un point de vue légal, le poids de la minorité est égal à celui de la majorité. Selon cela, Rebbi Éliyahou Ḥaï écrit que ce principe est applicable au peuple juif uniquement lorsqu’il se trouve « fixé » sur la Terre d’Israël, car le fait d’y être installé, le place alors à égalité avec les autres nations du monde. Toutefois, en dehors de son pays, le peuple perd cet avantage, devenant ainsi vulnérable à la majorité et au risque qu’elle représente. Par ailleurs, en raison de la constante présence divine sur la Terre Sainte, le peuple qui y réside s’impose inévitablement comme majorité dominante face au monde.
A présent, poursuit Rebbi Éliyahou Ḥaï, il est clair que la crainte qu’avait Ya’akov de quitter Israël provenait du poids majoritaire des autres croyances sur la sienne. C’est la raison pour laquelle, Dieu le rassura en disant : « je t’y ferai devenir une grande nation », à savoir aussi grande que la nation prédominante ; puis Il ajouta : « Moi-même, je descendrai avec toi en Égypte », ainsi, fort de la présence divine, notre patriarche n’avait plus rien à craindre des autres nations.
La véritable valeur du peuple juif ne réside pas en sa quantité mais en sa faculté de faire régner la présence de Dieu sur terre. Où qu’il se trouve, par le biais de l’étude de la Thora et grâce à la force de la prière, il possède le pouvoir « d’abriter » l’omniprésence du Tout Puissant en son sein. C’est en cela que la grandeur de ce petit peuple se qualifie et que sa place prépondérante dans le monde se définit.
Aryé Bellity
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¹ Rebbi Éliyahou Ḥaï Borgel 1er (1760-1817), né à Tunis, il est le fils du célèbre Rebbi Nathan Borgel 1er, l’auteur du Ḥok Nathan. En 1778, son père publie le Ḥok Nathan en y associant à la fin l’œuvre de son fils « Mighdanote Nathan I » – un commentaire sur le traité Baba Méçi’a qu’il commença à rédiger dès l’âge de douze ans ! Avant son départ vers Israël, son père le place sous l’égide de Rebbi Chélomo Elfassi qui le forma au rôle de juge rabbinique, poste qu’il occupa vers 1793. Marié à Raḥel Samama, fille du notable Moché Samama, Rebbi Nathan publie en 1785 « Mighdanote Nathan II » grâce à l’aide de son beau-père et à celle de son ami Rebbi Yisrael Bismuth. Outre ces chefs d’œuvres littéraires, Rebbi Nathan est le père de cinq vénérables fils, parmi lesquels Rebbi Nathan Borgel 2nd auteur du livre Méorote Nathan.